Hommage à Jean Oury, psychiatre, psychanalyste.

Publié le 23 Mai 2014

Psychiatre et psychanalyste, membre de l'Ecole freudienne de Paris (EFP), de 1964 à 1980, auteur de plusieurs livres, disciple de Jacques Lacan sur le divan duquel il séjourna pendant vingt ans, Jean Oury est mort le 15 mai à la clinique de La Borde, de Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) où il accueillait, depuis presque soixante ans, des malades mentaux vivant en communauté avec les soignants. Jamais il n'avait renoncé, malgré son âge, à poursuivre son enseignement clinique à l'hôpital Sainte-Anne et jamais il n'avait cessé de mener un combat en faveur d'une approche humaniste de la folie.

Né à La Garenne-Colombes, (Hauts-de-Seine) le 5 mars 1924, Oury était issu d'un milieu populaire et imprégné d'une idéologie libertaire qui le conduisit à rejoindre, en 1947, la prestigieuse équipe de l'hôpital de Saint-Alban (Lozère), où s'était élaborée, sous la houlette de trois psychiatres – François Tosquelles (1912-1994), anti-franquiste militant, Lucien Bonnafé (1912-2003), communiste éclairé, Paul Balvet (1907-2001), catholique progressiste –, la première expérience française visant à réformer l'institution asilaire en privilégiant une approche psychique et environnementale de la maladie mentale. Au cœur de la résistance antinazie, tous trois avaient la conviction que le traitement de la folie devait être associé à une lutte contre la barbarie et que désormais il fallait substituer à l'enfermement classique, figeant le malade dans l'inertie, le principe d'une psychiatrie communautaire permettant de dynamiser les relations entre soignants et aliénés.

En ce lieu, qui deviendra mythique pour toute une génération psychiatrique d'après-guerre, se retrouvèrent pêle-mêle des résistants, des fous, des thérapeutes et des intellectuels de passage, parmi lesquels le philosophe Georges Canguilhem et le poète Paul Eluard. En 1952, Georges Daumezon donnera le nom de psychothérapie institutionnelle à cette expérience inaugurale qui imposera son modèle à toute la psychiatrie de secteur jusque vers les années 1990. En 1953, Jean Oury acquiert le château de La Borde pour accueillir les marginaux de tous bords, opérant ainsi une synthèse entre une orientation psychanalytique lacanienne et un militantisme clinique centré sur l'écoute de la folie. A la même époque, son frère aîné, Fernand Oury, instituteur de banlieue, crée le mouvement de la pédagogie institutionnelle afin de dénoncer ce qu'il appelle " l'école-caserne ". Les deux Oury deviennent ainsi les champions d'une contestation des institutions scolaires et asilaires qui sera reprise en mai 1968.

Mais l'expérience de La Borde n'aurait pas eu le même impact si elle n'avait pas été soutenue, à partir de 1957, par le psychologue Félix Guattari, lui aussi analysant de Lacan, lié à la lutte anticoloniale et qui prendra une place importante au cœur de la clinique.

Certes, ils ne partagent pas les mêmes idées. Oury demeure d'une fidélité absolue à Lacan alors que Guattari s'en détache, avec notamment, la publication, en 1972, de L'Anti-Œdipe (Minuit), ouvrage majeur, cosigné avec le philosophe Gilles Deleuze et centré sur une critique de la psychanalyse, accusée d'enfermer la " libido plurielle de la folie " dans le carcan d'une psychologie familialiste. Malgré leurs disputes fréquentes, Oury et Guattari garderont en commun la volonté de maintenir vivante la tradition de la psychothérapie institutionnelle.

" Soigner l'hôpital "

Un an avant sa mort, et alors qu'il appuyait les initiatives des collectifs de soutien à une psychiatrie humaniste – emmenés par Pierre Delion, Patrick Chemla et bien d'autres – Jean Oury avait reçu à La Borde un énième " expert ". Trouvant que les " normes sanitaires " n'étaient pas respectées dans les cuisines, le brave homme voulait lui imposer de nourrir son petit monde avec des produits sous cellophane émanant de la grande distribution : " Que feront mes pensionnaires, répondit le psychiatre, si on les prive du bonheur de mitonner des plats pour l'ensemble du personnel ? Si vous fermez les cuisines, je ferme La Borde. "

A vrai dire, la demande était tellement irrationnelle qu'elle répondait au jugement d'Oury qui avait toujours affirmé que " soigner les malades sans soigner l'hôpital, c'est de la folie ".

C'était donc à " l'expert " de se soigner.

Elisabeth Roudinesco

Jean Oury : quelques dates

5 mars 1924

Naissance à La Garenne-Colombes

1953

Fondation de La Borde

15 mai 2014

Mort à Cour-Cheverny

Rédigé par Cristofari Joël

Publié dans #Actualité de la psychanalyse

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